Mutualiser les intelligences pour bien intégrer l’IA en imagerie médicale

18-12-2020

Entretien avec le Dr Robert Lavayssière, Directeur Général du réseau Vidi.

Rédigé par Camille Bosle, décembre 2020

 

Selon vous est-ce que l’année 2020 fut l’occasion de démystifier l’intelligence artificielle auprès des médecins radiologues ? 

Dr Robert Lavayssière : Je crois très clairement que les médecins ont tous parfaitement conscience de l’intérêt potentiel de l’intelligence artificielle, le but étant de les aider dans leurs tâches et non pas de les remplacer. Je ne pense pas que les radiologues aient peur de se faire remplacer par un algorithme. C’est un mythe que l’on a agité ces dernières années, mais quand nous regardons la réalité des choses, nous nous apercevons que ce n’est pas tout à fait le cas. Il faut considérer que les algorithmes bien utilisés sont des instruments d’aide : cela peut aider d’autres médecins à s’approprier l’imagerie. On peut notamment penser aux cas des urgentistes pour ce qui est des fractures, par exemple. Il y a actuellement sur le marché plusieurs logiciels qui s’intéressent à leur détection. Le système détecte un nombre important de fractures mais génère aussi des faux positifs. J’en viens donc à un point fondamental : on entend souvent dire que le deep learning est l’équivalent des médecins radiologues, sauf qu’il y a tout de même un biais : le logiciel apprend, certes, mais qu’apprend-il exactement et que sait on de la façon dont il va évoluer ? C’est le fameux effet boîte noire, qui n’est toujours pas évalué à ce jour. Dès lors, l’expertise du médecin est essentielle et nous devons garder en tête que l’intelligence artificielle reste un outil et non une finalité en soi. Les médecins radiologues ont très bien compris cela.

 

Face à l’émergence de diverses sociétés en intelligence artificielle, le Dr Lavayssière retient deux leçons des premiers essais, à savoir l’adaptation nécessaire de ces logiciels à la réalité du métier de radiologue, mais aussi la nécessité d’une bonne collaboration entre tous les intervenants  : 

Dr Robert Lavayssière : Cette année, il y a eu un intérêt accru de la médecine radiologique envers l’intelligence artificielle, c’est évident. Comme beaucoup de choses, c’est avant tout une aventure humaine mais aussi une aventure commerciale. Dans ce marché en plein développement, nous avons vu émerger un peu partout des solutions dans lesquelles les professionnels ont investi. Cependant, on peut considérer que sur les 10 qui se présentent actuellement sur le marché, il n’en restera qu’une. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’un des socles de cette aventure commerciale est la collaboration, et je parle en connaissance de cause. J’ai collaboré au développement de la machine d’IRM française au début des années 80 et, un des écueils majeurs de cette collaboration a été la compréhension parfois insuffisante entre ingénieurs et médecins. Les ingénieurs fabriquent un produit pour les ingénieurs, les informaticiens fabriquent des produits pour les informaticiens, et les médecins au milieu de tout cela ont parfois du mal à  faire comprendre aux ingénieurs et aux informaticiens quels sont leurs réels besoins et quelle est leur réelle façon de fonctionner. Une des difficultés de tous ces logiciels, c’est que beaucoup n’étaient pas adaptés au flux de travail des médecins, c’est pourquoi la mutualisation des intelligences est essentielle entre tous les intervenants autour de l’intégration d’un projet d’intelligence artificielle

Pour l’instant, les systèmes d’intelligence artificielle qu’on nous a proposés ne sont pas adaptés à nos logiciels radiologiques par exemple, et ne sont pas non plus intégrés aux outils que nous utilisons pour visualiser les images. C’est pour tenter de corriger ces limites que Vidi a commencé tout récemment à travailler avec la société Cleverdoc qui propose un studio IA et un accompagnement dédiés aux médecins pour améliorer le taux de succès des projets d’intelligence artificielle.

 

Le réseau Vidi vient de lancer sa commission Vidi IA qui comprend à ce jour 6 radiologues de 6 centres différents qui vont collaborer ensemble afin de développer leurs premiers algorithmes experts. La commission Vidi IA et le Dr Robert Lavayssière sont convaincus que l’avenir de l’intelligence artificielle dans le milieu de l’imagerie médicale sera fondée sur l’intégration, l’efficacité, la validation et le contrôle des algorithmes :

Dr Robert Lavayssière : L’intégration, comme mentionné précédemment, se fera inévitablement par l’adaptation de l’algorithme à nos logiciels radiologiques. Et sans collaboration entre les médecins, les ingérnieurs et les informaticiens, cette intégration n’est pas réaliste.

Pour envisager l’efficacité de l’intelligence artificielle en imagerie médicale, il faut penser la radiologie dans son ensemble : la prise en charge efficace du patient, l’affichage des résultats, leur  diffusion… il y a énormément de paramètres. Malgré ces difficultés, à terme, je pense que l’intelligence artificielle va rentrer dans nos systèmes d’une façon ou d’une autre et qu’on ne peut pas imaginer de radiologie demain sans intelligence artificielle. L’intelligence artificielle va s’appliquer à énormément  d’autres secteurs que l’image pure : elle va s’appliquer à la gestion des rendez-vous, à la diffusion des résultats, à quantité d’éléments qui ne sont pas strictement médicaux, qui sont organisationnels. Donc, je pense qu’on va gagner en efficacité. Il faut bien prendre en compte les processus de fonctionnement de cette mécanique particulière qu’est la radiologie au sens large, car nous ne sommes pas dans une distribution de colis chez Amazon.

Autre point : les logiciels d’intelligence artificielle sont encore nombreux à ne pas avoir été évalués et validés sur des critères scientifiques purs. Cela veut donc dire que s’il y a utilisation d’un algorithme en radiologie par exemple, il faut qu’il ait été validé par une publication scientifique avec comité de lecture. Par ailleurs, face à un problème juridique dans le cadre de l’usage d’un système d’intelligence artificielle, vous avez effectivement intérêt à avoir assuré votre défense et celle-ci peut effectivement en partie reposer sur la validation scientifique.

Enfin, un point fondamental est le contrôle de l’intelligence artificielle : nous devons pouvoir être en mesure de déterminer ce que l’algorithme doit apprendre, ensuite d’évaluer ce que nous avons enseigné à l’algorithme, la manière dont il a appris, et enfin de pouvoir le maintenir dans le temps.

Pour conclure cette année 2020, le Dr Robert Lavayssière est confiant pour l’avenir de sa profession :

Dr Robert Lavayssière : Le métier que nous faisons est un métier formidable. C’est un métier qui est incontournable pour soigner le patient. Notre spécialité est promise à un avenir majeur dans l’ère de la médecine de précision et en cela l’intelligence artificielle peut vraiment  nous aider. Vidi veut jouer un rôle important avec son fonctionnement collaboratif. Cette mutualisation entre les différentes intelligences présentes dans le réseau Vidi nous permettra d’aller plus loin ensemble et d’aller plus vite.